A l’ère des réseaux sociaux qui sont devenus une jungle dans laquelle beaucoup se croient tout permis, les fausses nouvelles ou fake news sont légion.
Elles s’attaquent soit aux individus dont la réputation peut voler en un instant en éclats, soit elles concernent des événements plus généraux, avec des effets en chaine souvent délétères.
Le droit n’ignore pas le genre de la fausse nouvelle et la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse l’envisage et le réprime depuis longtemps sous certaines conditions.
Son article 27 dispose aujourd’hui en termes quasi identiques à ceux de 1881 « La publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d’une amende de 45 000 euros. Les mêmes faits seront punis de 135 000 euros d’amende, lorsque la publication, la diffusion ou la reproduction faite de mauvaise foi sera de nature à ébranler la discipline ou le moral des armées ou à entraver l’effort de guerre de la Nation ».
L’application de ce texte conçu quand la presse n’avait pour seul support que les produits d’imprimerie, a été élargie à la communication audiovisuelle puis aux supports numériques par la loi du 29 juillet 1982 et celle du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
La loi du 21 Juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique a quant à elle investi les hébergeurs et éditeurs de sites en ligne d’une responsabilité légale quand ils négligent de retirer des contenus dont l’illicéité leur été signalée.
Enfin, la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information s’attache à lutter contre des informations manifestement fausses en période électorale de nature à altérer le scrutin.
Les fake news constituent l’outil préféré des mouvements qu’il est convenu de qualifier de « complotistes ». Elles leur servent à contester ce que le constat objectif des faits enseigne, ou a minima ce que leurs apparences les plus raisonnables et vraisemblables en disent. Leurs auteurs affirment que ces constats ou apparences travestissent d’autres réalités, généralement hostiles aux libertés ou au genre humain. Les auteurs les plus extrêmes de ces fausses nouvelles n’hésitent pas à imaginer que ces réalités cachées seraient le fait délibéré et concerté de puissances occultes qui les couvriraient du secret et dont l’objectif serait de dominer le monde pour mieux s’enrichir, voire pour détruire l’humanité.
Il est dans la nature humaine de se rallier aux thèses pour lesquelles on a une inclination personnelle de sorte que ces fake news suscitent un grand intérêt et recueillent l’adhésion de tous ceux, nombreux, qui ont à cœur de se les approprier pour mieux les diffuser.
La pandémie de la Covid 19 fournit au quotidien depuis 2020 une parfaite illustration de ce que sont ces fake news qui fleurissent sur les réseaux sociaux, parfois dans des grands médias d’information, ici ou là dans ces émissions de télévision qui se nourrissent de la polémique.
Pour autant, et c’est singulièrement surprenant, les poursuites sont inexistantes, en tous cas exceptionnelles, et le plus souvent elles empruntent d’autres voies juridiques que celles que nous venons de mentionner. C’est par exemple pour un manquement à ses devoirs de médecin et non pour une diffusion de fausse nouvelle que le Professeur Didier Raoult a été blâmé par son Ordre pour avoir défendu publiquement le traitement de la Covid 19 par l’hydroxychloroquine.
Il est donc légitime de s’interroger sur les raisons de cette timidité.
La jurisprudence est rare.
Elle fixe d’abord au fond de la loi des contours si étroits que l’usage en devient malaisé.
Comme son nom l’indique, une fausse nouvelle suppose une « nouvelle » et donc la révélation d’une information qui n’était jusqu’alors pas sur la place publique. Le commentaire d’un événement connu, même s’il le déforme, n’est pas une nouvelle. (Cass. Crim 13 avril 1999. 98-83.798)
D’autre part le fait doit être délibéré. Si bien qu’un point de vue erroné ne portera pas toujours le délit de fausse nouvelle. La nouvelle doit également porter un trouble à la paix publique. C’est ce que rappelle un arrêt de la Cour de cassation – Chambre criminelle- du 26 juin 1968 (n° 68-90.074) portant sur un article du Nouvel Observateur qui prêtait aux services secrets français d’avoir éliminé l’opposant marocain Mehdi Ben Barka. La Cour de cassation rejetait le pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait jugé que cette nouvelle rompait la confiance dans les pouvoirs publics. La Cour de cassation avait déjà en 1963 retenu le trouble porté aux relations internationales par une autre nouvelle.
En outre, et bien entendu, la fausseté de la nouvelle doit être établie ce qui suppose qu’elle puisse l’être. Un point de vue ou une opinion ne porteront donc jamais une fausse nouvelle au sens de l’article 27 de la loi de 1881, pas plus d’ailleurs qu’ils ne constituent une imputation diffamatoire.
Enfin, une difficulté de procédure s’avère rédhibitoire pour qui voudrait se plaindre d’une fausse nouvelle.
En effet selon la Cour de cassation, il s’extrait de la combinaison des articles 47 et 48 de la loi de 1881, qui fixent des règles de procédure, que les poursuites en cette matière ne peuvent être engagées que par le Procureur de la République.
Ce dernier est ainsi est maître des poursuites et on sait qu’il est à cet égard juge de l’opportunité ou non de les engager.
La passivité actuelle des Parquets jusqu’à présent à l’égard de nombre des fake news qui circulent ici ou là sur la pandémie du coronavirus et notamment sur ses origines, ou sur la dangerosité des vaccins, pourrait interroger. Sans doute, les autorités estiment-elles à ce stade que chacun est finalement en mesure de répondre à ces fausses nouvelles et au public de se faire un point de vue équilibré dans le flux contradictoire des communications. La communication moderne est en effet devenue une arme autrement plus efficace que le judiciaire. Nous avons déjà eu l’occasion de le souligner (infra : Archives Octobre 2014 – Net Vs Réputation: un combat inégal).
Quant à la légitimité de la mesure procédurale posée par les articles 47 et 48 de la loi de 1881, elle se conçoit. C’est au Ministère Public qu’il appartient de protéger la paix publique.
Les individus sont quant à eux suffisamment protégés contre les fausses nouvelles qui nuisent à leur honneur et leur considération par les textes régissant la diffamation.